Tout écrivain digne de ce nom, selon les normes courantes des conservateurs-puristes snobino-littéraires, se doit d’écrire à la main. Haro sur le traitement de texte! Quelle vile machine sans cœur et sans âme que cet ordinateur qui tue la Poésie de l’imagination! Elle rabaisse l’écrivain à un vulgaire opérateur. Comment transmettre toute la saveur de l’atmosphère irréelle d’une chimérique vision lorsque les mots en sont apparus en leur premier jet sur un écran, dont la froide luminosité banalise tous les recoins inexplorés de la pensée créatrice?
Qu’auraient pensé de nous les poètes maudits d’autrefois, qui, égarés dans les vapeurs d’absinthe, assis devant une écritoire à la lueur tremblante d’une lampe à pétrole, composaient laborieusement leurs vers, trempaient leur plume dans un encrier avant de chercher l’inspiration, les yeux perdus dans le vague, en mordillant distraitement l’extrémité de leur crayon?
Oui, bien sûr, ils se seraient étouffés dans le duvet d’oie. L’image de l’écrivain typique a tout de même évolué. Quel authentique auteur n’a pas mordillé le bout de son crayon en réfléchissant devant sa page blanche? La révolution technologique qui remplaça la plume d’oie par le stylo-bille chavira l’âme des puristes de l’époque. Mais le mordillement du crayon fit tout de même son chemin et, en peu de temps, devint le symbole même de l’Inspiration Fuyante...
Il était désormais possible de ressentir la Fièvre Créatrice, la Vraie, celle qui mène au chef-d’œuvre littéraire, en se passant d’un encrier. On n’allait pas se formaliser pour un changement d’outil : les gestes restaient les mêmes. Le corps continuait à participer, en harmonie avec le cerveau, et l’écrivain se donnait tout entier dans son Œuvre, en mordillant avec délice l’extrémité de son crayon.
L’apparition de la machine à écrire fut une nouvelle révolution qui balaya d’un coup toute l’image du Créateur. L’écrivain en mal de substance ne pouvait tout de même pas mordiller les touches du clavier... Il fallait trouver autre chose. Déjà le geste même d’écrire était radicalement transformé : il fallait à présent une «méthode» pour écrire avec cette nouvelle invention du diable! La vulgaire technologie gagnait de plus en plus du terrain sur le Pur Esprit. Les dix doigts couraient sur un clavier anonyme et froid. Où était la communion entre le corps et le papier? Mais du moins, le papier restait, rassurant, tangible.
Voilà la clé! Il suffisait, en cas de panne, d’arracher brusquement la page de son rouleau, d’un geste dramatique, de la rouler en boule rageusement et de la jeter négligemment dans une corbeille à papier, située judicieusement à une bonne distance, ce qui permettait de rater son coup de temps en temps et d’offrir au spectateur inopiné l’image d’un désordre de bon aloi. Insérer une nouvelle page dans sa machine devenait alors le rituel de la Fièvre retrouvée. La corbeille pleine et les rebuts épars tout autour, dans un coin de la pièce, resteraient le témoignage de l’effort acharné de l’auteur.
Mais un «traitement de texte»! Rien que le nom fait frémir! Traiter un texte! Mais un texte, que dis-je, une Œuvre, ça se concocte, ça se compose, ça s’invente, ça s’imagine, ça se glisse furtivement dans l’esprit, idée fugace que l’on tente de saisir pour la dépeindre par l’enchantement des mots... Non. Un «texte», ça ne se «traite» tout simplement pas.
Et puis, où est le papier dans tout ça? Où s’en vont les mots, lorsqu’on les a choisis amoureusement? Ils sont prosaïquement emmagasinés dans une mémoire sous forme de «méga-octets» et autres cochonneries dont personne ne sait exactement de quoi il s’agit... Ils peuvent êtres copiés, collés, transférés, ils portent le nom de «fichier», ils peuvent, d’un mouvement de doigt indifférent, être perdus à jamais. Et ces mots, rejetés avec désespoir, disparaissent sans laisser aucune trace! Le mot «backspace» est un mot terrible! Les tentatives avortées se sont maintenant perdues dans le néant du «delete» insondable.
Mais surtout! Surtout, à quel cliché l’écrivain moderne peut-il se rattacher maintenant, en ces temps où un témoin qui le surprendrait en plein travail peut si facilement le confondre avec un comptable ou un fonctionnaire? D’un seul coup d’œil, il est impossible de mesurer toute l’énormité de la tâche entreprise. Où sont les encriers vides gisant à côté de l’écritoire? Où est le crayon mordillé? Que sont toutes ces rageuses ratures devenues?
Que nous réserve l’avenir? Que va-t-on encore inventer pour nous déposséder de la Fièvre Créatrice???
Ceci dit, je suis une fille résolument de son temps et je ne me ferai sûrement pas chier à écrire à la main sur du papier!
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10 commentaires:
«Ceci dit, je suis une fille résolument de son temps et je ne me ferai sûrement pas chier à écrire à la main sur du papier!»
hihihi
;o)))
T'es super ! c'est où la 298 ? j'adorerais aller rire avec toi en vrai ! :))
Tu peux relaxer, je ne te «cruisais» pas. C'est vrai que... ça en avait l'air mais c'est pas mon genre pantoute de cruiser via internet.* Entécas, c'était une superbe ouverture de blogue (après le billet disant que tu n'as rien à dire). C'est curieux que personne à part le grand curieux Fredesk ne semble s'être aventuré ici.
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Dire que je t'ai laissée te stresser durant les six derniers mois pour rien. J'avais oublié complètement que j'étais passé ici. Mes excuses, hein. :o))
Je ne stressais pas, j'avais aussi complètement oublié ce commentaire! Et puis depuis le temps, j'ai appris à te connaître! ;)
Je recommence au début de tes aventures :)
et me suis désinscrit de popotamtam
Oui, j'ai remarqué ça! Fallait s'y attendre, te connaissant :))
ca veut dire quoi ca, me connaissant ?
inscription, désinscription, effaçage...
C'est dommage pourtant!
Euh... je ne saisis pas très bien ta pensée... qu'est-ce qui est dommage? pas le jeu de scrabble lentissime quand meme !! Ça ne me manque même pas ! :)
Pour le reste, je suis un handicapé avec des troubles. J'essaie de vivre le mieux que je peux avec ces troubles. Mais des fois j'efface tout. Et je recommence à zéro.
Tant que tu recommences, ça va!
:o)
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