Ni une ni deux, j'appelle Élections Canada où, après être passée par les mailles du filets du «pour le service en français, faites le...», etc. Bref, après un filtrage de 10 minutes, un gentil monsieur me répond.
Il me donne le numéro de téléphone du directeur de scrutin de ma circonscription, qui s'appelle «Haute-Gaspésie–La Mitis–Matane–Matapédia» (pas le monsieur mais la circonscription). Un nom que même Bernard Derome risque de prononcer en bégayant.
Les bureaux du directeur de scrutin sont fermés. Nous sommes au début de septembre, trop tôt avant les élections. Je ne réussis à les joindre que la veille de mon départ pour la France, alors que je me suis rapprochée de l'aéroport. On me dit que je pourrai voter par bulletin de vote spécial, dont on pourra m'envoyer le «kit» à la maison. Mais puisque je ne suis plus à la maison, la solution semble être d'aller commander mon «kit» de vote à l'ambassade du
Chic! Depuis le temps que je voulais avoir une excuse pour aller à l'ambassade du
Je m'imaginais un petit coin de chez moi, un îlot de mon pays, perdu dans une mer parisienne, où le soir, derrière les volets, se tenaient des bals où des sept-carrés endiablés se dansaient sur des planchers de bois équarris à la hache par ces coureurs des bois qui ont bâti à la sueur de leurs dessous de bras cette contrée sauvage et altière...
Quand enfin j'ai poussé la porte de cet établissement mystérieux, des Français en uniforme m'attendaient. J'ai été illico dépouillée de mon appareil photo ainsi que de mon cellulaire. Mon sac à dos fut saisi pour être placé dans une machine de type aéroport, où les rayons X ont dévoilé un enchevêtrement de fils suspects (le chargeur de mon cellulaire, celui des piles de mon appareil photo, et tout ça au travers de quelques bobettes de rechange puisque sur ma lancée, j'allais passer quelques jours à la campagne).
Mon sac à dos fut confisqué. Les cerbères héroïques prenaient le risque de sauter avec la bombe qu'il devait certainement contenir, pour sauver la Noble Institution qu'ils avaient la charge de protéger au péril de leur vie.
Je leur laissais donc mon sac à dos (j'espère que les bobettes que j'y avais mises n'étaient pas trop trouées...) pour m'engouffrer dans le corridor désigné, celui des services consulaires. Les gigues et les sept-carrés devaient certainement se danser dans une autre salle, car celle où j'aboutis me semblait aussi lugubre qu'une cathédrale. À droite, une salle de classe où des étrangers consciencieux étudiaient en silence la chartre des droits de l'Homme, la Constitution et le «God save the queen». À gauche, un guichet, quelques chaises et un rouleau de numéros.
Je prends un numéro et je m'assieds. Puisqu'il n'y a personne d'autre, la dame du guichet appelle mon numéro (elle ne connaît pas mon nom, c'est pratique, ce numéro). Je lui explique mon cas, en faisant bien attention pour être très polie. Je ne voudrais pas faire face à une employée consulaire comme celle que Benoit a affrontée dans un épisode de Rumeurs (celui où il est coincé en Amérique du sud sans papiers, sans argent et où il veut rentrer revoir son Esther)...
Mais non, malgré la ressemblance physique avec l'agente consulaire de Benoit, celle qui me fait face est très aimable et «bin d'adon». Je lui mentionne que je dois voter dans la circonscription de Matane-La-Mitis-Matapédia-Haute-Gaspésie (ou inversement). Elle me donne un formulaire qui me permettra de commander le «kit» de vote. Je m'installe sur ma chaise et je remplis le formulaire. J'y joint une photocopie de mon passeport, qu'elle me fait gracieusement, elle vérifie, tout semble bon, et elle me propose de l'envoyer par valise diplomatique à Ottawa. Je suis impressionnée!!! Même pas besoin de timbre!
Donc ma demande de «kit» de vote traverse l'océan (en valise diplomatique, permettez-moi de me gargariser de nouveau de ces mots onctueux).
Dès réception à Ottawa, mon «kit» de vote est préparé, et doit retraverser l'océan pour arriver à mon domicile d'adoption en terre française.
Effectivement, au bout d'une semaine, je reçois le «kit» de vote. Il contient : un bulletin de vote, une enveloppe intérieure, une enveloppe extérieure, une enveloppe de retour et un livret d'instructions. Le tout dans l'enveloppe postale dans laquelle j'ai reçu mon «kit», naturellement.
Je lis soigneusement les instructions :
D'abord, remplir le bulletin de vote. Pas de X à faire, mais il s'agit de trouver le nom de la personne pour qui je veux voter et ne pas me tromper dans l'orthographe sous peine de voir mon bulletin rejeté. Les instructions ne mentionnent pas s'il faut de l'encre bleue, noire ou un crayon à mine. J'opte pour l'encre bleue.
(Vous n'alliez quand même pas penser que j'allais vous montrer mon vote secret???)
Deuxième étape : je dépose mon bulletin de vote dans l'enveloppe intérieure, qui est anonyme et confidentielle. Bien cacheter. Cette enveloppe ne sera ouverte que lors du dépouillement du scrutin, le 14 au soir.
3e étape : je dépose l'enveloppe intérieure dans l'enveloppe extérieure. Celle-ci est bien identifiée à mon nom, avec en plus un code à barre qui me correspond personnellement, pour bien m'identifier, de sorte que je ne puisse plus voter ni par anticipation, ni le jour des élections. J'ai presque envie d'aller à l'Intermarché pour voir ce que lira la machine des codes à barre...
Cette enveloppe porte aussi le nom de ma circonscription, Haute-Matane-Mitis-La Gaspésie-Matapédia. Elle est destinée à être envoyée au directeur du scrutin, par valise diplomatique pour économiser un timbre, et à être ouverte pour pouvoir jeter mon enveloppe anonyme parmi les autres enveloppes anonymes et assurer ainsi la confidentialité de mon vote dans cette élection démocratique qui fait la fierté de notre pays de gigues et de sept-carrés.
Je cachette, je signe et je date l'enveloppe extérieure.
Je mets ensuite l'enveloppe contenant l'enveloppe contenant mon bulletin de vote dans une enveloppe.
Après avoir remonté dans le bon ordre ces poupées russes de papier, je dois mettre un timbre (puisque je n'ai pas de valise diplomatique) et espérer que le bulletin dûment rempli traverse l'océan une 3e fois pour se rende à temps pour les élections du 14 octobre... Pour en être sûre, j'envoie avec accusé de réception, qui me parviendra en traversant l'océan pour la 4e fois. Un mois de préparation n'est pas de trop pour faire ces 20 000 km, soit presque le tour de la terre, pour effectuer avec fierté mon devoir de citoyenne!