Environnement Canada exagérait, ou bien c'est qu'il fait plus chaud chez moi qu'au bord du fleuve, ou bien encore c'est mon thermomètre qui est détraqué. Dans ce dernier cas, l'effet placebo m'a permis d'aller faire une petite promenade de 1,5 km (mon circuit habituel, je descends le rang jusqu'au ruisseau puis je remonte la côte pour revenir à la maison).
Bref, Ils (avez-vous remarqué qu'on dit toujours «Ils» quand on parle de la météo, comme si Dieu était météorologue) Ils, disais-je, disaient qu'il faisait -33 ce matin. Mon thermomètre pas trop fiable me disait -25. Je me suis dit qu'une petite promenade serait vivifiante.
Je mets mes bottes, celles dans lesquelles on se sent comme en pantoufles...
Je mets mon Kanuk -35, par dessus un gros gilet de polaire avec capuchon, je mets un foulard de polaire enroulé autour de ma tête sous le capuchon du gilet, remonte le capuchon du gilet, referme le tout par un second foulard en polaire. Puis je remonte le capuchon doublé de fourrure du Kanuk -35.
Avec mes caleçons longs et mon pantalon de polaire, je devrais être pas trop pire. J'enfile ensuite mes gants en polaire (je ne jure que par le polaire!) en prenant soin de rabattre l'élastique des poignets de mon manteau par dessus les gants. Comme quand on était petit et que notre mère nous envoyait dehors en habit de skidoo.
Je sors, je détache les chiens et je pars en promenade, me sentant un peu coupable de ce que les chiens soient tous nus. Mais eux n'ont pas l'air de s'en faire.
Il fait un gros soleil, presque pas de vent. Il fait... frette. Pas -33, mais en bas de -20 c'est sûr. Mon thermomètre nasal me le fait sentir : en-dessous d'une certaine température, l'air qu'on expire, un peu humide, cause une humidification des poils de nez. Lors de l'inspiration qui suit, par le nez (car par la bouche les dents nous gèlent), il se produit une cristallisation spontanée. Les poils de nez givrent et, si l'inspiration est trop forte, les narines collent ensemble. Il convient donc d'être prudent. Ce n'est pas le moment d'inspirer l'air à pleins poumons pour se revivifier le corps et pour se débarrasser des toxines, comme le prêchent certains gourous.
J'essaie de prendre conscience de mon corps : les pieds, pas de problème, ils sont bien au chaud. Les jambes, jusqu'aux genoux ça va, c'est plus haut que ça se gâte un peu. Je sens un peu le froid sur mes cuisses. Je tourne le dos au soleil, alors au retour ça va aller : mes pantalons sont noirs et vont absorber la chaleur. Pas d'inquiétude à avoir de ce côté là.
Ensuite ça va bien, jusqu'aux joues. Je suis bien emmitouflée, j'ai même un peu chaud. Mes pommettes sont en train de geler, par contre. Je rabats mes deux capuchons, je me mets les deux mains devant le visage pour cacher mes joues et ça va. Je sens que ça dégèle et reprends vie.
Tout va bien, sauf que...
Le nez me coule!!! Oh non! Pas question d'enlever une mitaine, encore moins deux, pour me moucher, pas question de laisser se former une stalactite. La ruse est d'avoir un kleenex à peu près neuf dans sa poche. Avec la mitaine, on le saisit, puis on éponge le nez.
Je sens un peu la racine de mes sourcils geler. Pour activer la circulation, j'agite les sourcils. Ce faisant, je casse un peu la glace qui s'est formée à mon insu aux coins de mes yeux, ce qui n'est pas plus mal.
J'ai atteint le but de ma promenade. Malgré les 3 derniers jours à -25C, on entend encore le faible glou-glou du ruisseau qui continue à courir sous la couche de glace...
C'est tout, je rentre. Face au soleil. Et je monte la côte. Et j'ai chaud. Enfin presque... On n'est quand même pas si mal que ça, dehors...
N'empêche...