Le 3 août 2012, j’ai pris le bateau de 13h, en direction de l’île Bonaventure! Le bateau a fait un petit tour d’un côté du Rocher, puis de
l’autre, question de bien en admirer le Trou. Le Trou avec une majuscule,
puisqu’il s’agit du Rocher Percé, qui donne son nom à la ville de Percé. Là où
le vendeur de piscines a pour nom «Les piscines Percé».
(Non ce n’est pas vrai, il n’y a pas d’entreprise de ce nom
à Percé. Il a fait faillite il y a belle lurette! Par contre, il y a des choses de percées :)
Donc, après un petit tour de trou, on fonce en direction de
l’île! Ou plutôt ce que nous devinons être l’île puisqu’une brume épaisse la
cache à notre vue. Peu importe. Nous nous approchons et en faisons le tour par
le large. La brume s’est dissipée. Nous voyons des phoques se faire chauffer au
soleil. Puis, sur les falaises, nous voyons nos premiers fous! L’île supporte
une colonie de plus de 300 000 fous de Bassan. Nous les voyons (tout un
spectacle!), nous les entendons (toute une cacophonie!) et nous les sentons
(toute une pestilescence!!!).
Mais nous nous habituons vite à l’odeur. Sauf si un oiseau
nous fait un cadeau du haut du ciel.
Des quatre sentiers disponibles, je choisis le plus court.
Après avoir sué pendant 45 minutes, il semble que je sois enfin arrivée aux premières bécosses. Un panneau m’avertit que je suis arrivée à la moitié du chemin. Pffft!
Après avoir sué pendant 45 minutes, il semble que je sois enfin arrivée aux premières bécosses. Un panneau m’avertit que je suis arrivée à la moitié du chemin. Pffft!
Enfin, j’arrive au bout de mes peines! Je suis fascinée par
les oiseaux et je ne vois pas le temps passer.
Lorsque je regarde l’heure, il est déjà 16h30! Le dernier bateau quitte l’île à 17h et le retour prend au moins 45 minutes! Je me retourne et il n’y a plus personne sur le site.
Lorsque je regarde l’heure, il est déjà 16h30! Le dernier bateau quitte l’île à 17h et le retour prend au moins 45 minutes! Je me retourne et il n’y a plus personne sur le site.
Le troupeau de touristes est déjà parti, je n’avais rien
entendu. Je me hâte vers le sentier du retour. Personne en vue, même pas des
mémés retardataires. Je regarde l’heure, je marche vite, je ne m’arrête même
pas aux bécosses qui sont sur ma route, c’est tout dire!
La brume va et vient. Pas grave, je me contente de suivre le
sentier. Soudain, j’entends des voix! Hourra, j’ai rattrapé le groupe! Au
moins, ils ne devront pas faire venir un bateau exprès pour moi et j’éviterai
la honte. Après 17h, tout le monde doit avoir quitté l’île. Depuis qu’elle fait
partie de la SEPAQ, c’est le règlement.
Je m’approche des voix. Il s’agit d’un couple en costume de
style 1880. Ils me demandent où je vais. J’apprécie l’animation d’époque qu’ils
jouent mais je n’ai pas vraiment le temps de m’attarder si je veux attraper mon
bateau. Il me semble que c’est assez évident où je me rends! Ces figurants
doivent aussi certainement prendre un bateau, pourtant ils ne semblent pas
pressés. Au pire, je prendrai le même bateau qu’eux.
Je chemine donc en leur compagnie. Je regrette un peu de ne pouvoir visiter la maison Boutillier,
vestige de l’époque de la pêche au thon, mais ce sera pour une prochaine fois. Mais
mes compagnons de route, eux, semblent avoir bien l’intention de la visiter
puisque c’est là qu’ils se dirigent.
Enfin nous arrivons en vue du quai. Il y a encore de la brume, mais je peux voir des gens. Mais pas de bateau...
Je leur demande à quelle heure passe le suivant. Ils
partent à rire : «La semaine prochaine, peut-être… la saison de la morue est terminée». La brume se dissipe et je
regarde le quai. Il y a plein d’activité, mais personne ne semble attendre un
bateau. Et pas de signal sur mon Iphone, bien sûr.
...
...
Voici maintenant 10 ans que je suis ici.
Je m’adapte à ce siècle, mais je ne comprends toujours pas ce qui est arrivé. Ma vie semble entre parenthèses.
Je m’adapte à ce siècle, mais je ne comprends toujours pas ce qui est arrivé. Ma vie semble entre parenthèses.
J’ai pris quelques photos, discrètement, de la maison des
gens qui m’ont accueillie. Tout y est bien propre, à la fois ancien et tout
neuf.
Je n’ai pas faim. Je n’ai jamais faim. Au début je me
faisais un peu remarquer, alors j’ai appris à feindre de manger. Je prétendais
que j’avais déjeuné tôt, je m’apportais un pique nique pour aller «manger»
seule, j’ai même dû avaler pour ensuite aller vomir en toute discrétion! C’est
d’ailleurs la seule chose que je fais aux «bécosses».
Mes cheveux ne poussent pas. Mes ongles non plus.
Je dois partir avant qu’on ne s’aperçoive que je ne vieillis
pas non plus. En cette époque, il n’en faut pas beaucoup pour passer pour une
sorcière!
Il faut que je me rappelle de revenir le 3 août 2012, pour y
rencontrer mon passé et reprendre le cours de ma vie.
Je cache ces documents dans une latte du plancher de la
maison Boutillier, puisque je sais qu’elle survivra au temps. Il me reste plus
d’une centaine d’années avant de retrouver mon époque. Je compte aller me
fondre dans la grande ville, Québec ou Montréal et changer de lieu à tous les 5
ans. À partir de 1958, je devrai éviter Montréal, par contre, pour éviter de
m’y croiser moi-même.
Et le 3 août 2012, je referai le trajet vers l’île
Bonaventure. Je prendrai le bateau de midi, un peu avant moi-même, et je
m’attendrai à la colonie de fous de Bassan, là où je me suis perdue dans le
temps! Je me taperai sur l’épaule, et cette fois-ci, je me retournerai à temps
pour rentrer sans manquer le bateau de 17h!