samedi 15 septembre 2018

Les réseaux sociaux (partie 4 : Partagez, aimez, commentez!)


Partagez !

Un chien disparu ? Une voiture volée ? On est vite sur le piton, dans notre détresse, à demander de l’aide, à l’offrir, à partager. Et les amis partagent aussi. Ainsi que leurs amis. Résultat ? Ça fait trois ans que le chien a été retrouvé, que les assurances ont remboursé le propriétaire de la voiture, mais la requête tourne toujours et tournera jusqu’à la fin des temps. Pas de date d’expiration, ni même de lieu. Si j’ai perdu mon chien à Saint-Gabriel au Bas-St-Laurent, inutile d’alerter les gens de Falmignoul, en Belgique.

Les vidéos (cutes ou pas)


Des chats, c’est «cute», chacun le sait. Des centaines de milliers de personnes ont des chats à la maison. Ils sont «cutes». Alors pourquoi partager à l’infini la même vidéo de chat «cute» alors qu’on peut regarder son propre chat à la maison ? Il ne faut pas s’inquiéter pour le voisin qui va rater les exploits «cutes» de votre chat. S’il aime les chats à ce point, il a probablement lui aussi son propre chat qui lui fait un spectacle («cute», il va sans dire…)

Quand un vidéo se passe de mots ou de narration, quelle est l’idée de vouloir à tout prix meubler le silence en y mettant de la muzak en trame de son. Insupportable ! Ces vidéos ne sont parfois qu’une suite de diapos avec des phrases arrivant avec une lenteur exaspérante, chaque diapo succédant à la précédente avec une petite animation digne des présentations power point de 1990.

On sait lire, cette succession de phrases passerait tout aussi bien en un seul texte continu. Si on en est rendu que pour attirer l’attention sur son histoire il faut absolument la mettre phrase par phrase en gros caractères, la faire arriver au compte-gouttes, sous un fond de musique abrutissante, on est rendus collectivement bien bas.

Les putaclics

Pendant les animations à la con dans les jeux, notre œil erre vers les trucs idiots sur le côté de l’écran (ah, tiens, ça sert à ça, les animations à la con !).

Ça commence par «Cette mère de famille…» (et là, ce qui suit n’a aucun rapport avec le fait que la madame en question a procréé ou pas…) et ça se termine par «…vous n’en croirez pas vos yeux !». On vous garde le «punch». Votre curiosité est aiguisée, vous avez envie de cliquer, pour voir ce que la mère de famille a bien pu faire pour que vous n’en crussiez pas vos yeux… Mais vous êtes rusé ! Vous allez plutôt chercher des indices dans les commentaires, nombreux.

Autre variante de la mère de famille : «il» ou «elle». En effet, on peut trouver «Il (ou elle)… (verbe au choix)… du… (complément au choix)… sur son … (nom commun au choix)». Les prépositions entre les mots à choisir peuvent aussi varier mais invariablement le résultat va vous renverser (ou vous faire tomber sur le cul). Il dépose du café sur son pantalon. Le résultat va vous renverser ! Elle applique du sel sur son visage. Le résultat va vous renverser ! Les plus naïfs ont vraiment envie de voir le résultat, certains sont curieux de voir en quoi déposer du café sur un pantalon peut être renversant… D’autres rusés lisent les commentaires.

On montre la photo d’une célébrité en larmes (pas sa meilleure photo, il va sans dire) avec, en guise de légende : «Si les rumeurs se confirment, sa vie ne sera plus jamais la même !» Notre intérêt est supposé être aiguisé.

«Les médecins sont en colère… contre cette mère de famille (encore elle ?) qui a trouvé un remède simple et naturel contre le cancer (ou autre maladie, qui, on le sait bien, enrichissent les médecins).» Bien sûr ! Chacun sait que les médecins complotent pour garder les gens en mauvaise santé pour faire plus d’argent.

Un phylactère surmontant la photo de Bill Gates vous informe que si vous partagez, il vous enverra 5 000 $, parce qu’il est temps pour lui de partager son magot. Et hop ! De partager illico, car on ne sait jamais ! Même s’il existe des centaines de variantes à l’intérieur de phylactères sur la même photo de Bill Gates.

La manipulation

Sous prétexte de bons sentiments, on se fait manipuler.
On vous encourage à écrire «Amen» sous une photo quelconque représentant une icône religieuse ou bien un enfant qui fait pitié. Pourquoi ? Est-ce que Dieu a un compte FB ?

On prétend que chaque partage de la photo d’une petite fille à l’hôpital va fournir 1$ pour sa greffe de rein. Par quel mécanisme l’argent arrive-t-il ? Et peut-on réaliser qu’un rein, ça ne s’achète pas (sauf si on veut encourager le commerce illicite d'organes), que ce serait plus efficace de signer sa carte de donneur d’organe ?

Je me demande, si je dis bonjour… combien de personnes me répondront ? Pas moi certain.

On a aussi sa variante, en plus glauque : «Ma mère m’a dit que personne ne voudrait cliquer j’aime sur ma photo parce que je suis handicapé», suivie par une photo d’handicapé. Premièrement, quelle mère dirait ça à son fils handicapé (ou non d’ailleurs) ? Aucune. Deuxièmement, quel handicapé mettrait une photo de lui sur les réseaux sociaux juste pour se faire prendre en pitié ? Aucun. Et troisièmement, quelles sortes de personnes ne se posent pas les deux premières questions et partagent ? Et bien presque tout le monde, croyant ainsi faire plaisir à l’handicapé en question qui serait certainement le plus embarrassé s’il savait qu’il était l’objet d’un tel trafic !

Quant à ceux qui se demandent si, dans le cas où ils viendraient frapper à notre porte à 03h du matin avec les larmes aux yeux, on leur ouvrirait, ils s’attendent à ce que leur audience leur réponde que bien sûr, ils ouvriraient leur porte. Je rappelle qu’il y a, parmi les contacts, des gens qu’on ne connaît pas du tout, qui sont là uniquement pour jouer à des jeux, mais qui répondent tout de même, pour ne pas avoir l’air ingrat. Moi, ce que je me demande, c’est combien de ces personnes qui répondent présent sur le réseau vont donner leur adresse personnelle (oui, oui, le numéro de porte et le nom de la rue) pour mettre à l’épreuve l’amitié indéfectible qui lie les contacts de réseaux sociaux…

On suscite votre indignation !

Pour alimenter la vertueuse indignation de la population (avec beaucoup de «j’aime» et de «partage»), le truc c’est de comparer l’incomparable : des prisonniers avec des aînés, des sans-abris avec des réfugiés… Chiffres (à peine modifiés, à peine tripotés) à l’appui,  avec des qualificatifs faisant appel à la fibre patriotique (devenue racisme), aux bons sentiments (qui prennent le pas sur la raison). Ça permet de faire passer des idées fascistes tout en restant du bon côté de la rectitude politique.

On est contre l’immigration ? Allez ! Déclarons que les réfugiés reçoivent 3 000 $ par mois à se pogner le beigne alors qu’un travailleur bien de chez nous, au salaire minimum, se tue au travail pour 1 800 $? INJUSTICE ! PARTAGEZ ! Vite, pesez sur le piton avant de réaliser qu’il s’agit d’une allocation de départ et non mensuelle et que de toute façon les chiffres sont faux.

Le gouvernement donne de l’argent aux réfugiés alors que nous avons ici des itinérants qui crèvent de faim ? INJUSTICE ! PARTAGEZ ! Dommage que tous ceux qui partagent ces posts ne partagent pas leur pain avec ces mêmes itinérants…

Il y a du steak dans l’assiette des prisonniers alors que nos aînés mangent des patates en poudre reconstituées ? INJUSTICE ! PARTAGEZ ! Même si à côté du steak des prisonniers il y a des patates en poudre reconstituées et qu’à côté des patates en poudre reconstituées des ainés il y a du steak. Même si l’ainé pèse 40 kg en moyenne alors que le prisonnier en pèse 80. Oui, ça coûte plus cher de nourrir un prisonnier qu’un aîné. Bien sûr que je ne prône pas la malnutrition chez les aînés et que je ne nie pas la situation non plus, mais faire une remarque sur l’illogisme de la comparaison m’attirerait les foudres des bien-pensants.
Tout le monde sait qu’on peut faire dire n’importe quoi aux chiffres. Et qu’on peut dire n’importe quoi tout court sur les réseaux sociaux. Personne ne prend la peine de vérifier.

On se fait justice !

La photo d’un présumé criminel circule. Sa vie est finie, même s’il est innocent. «Partagez le plus possible, cet homme est soupçonné de…» Où qu’elle aille dans le monde, cette personne sera stigmatisée à vie, qu’elle ait été soupçonnée d’enlèvement d’enfant ou bien de vol de mobylette, qu’elle ait été lavée par la suite de tout soupçon ou pas. Une arme bien dangereuse à mettre entre les mains de n’importe quel tata qui s’ouvre un compte FB et qui s’arroge le droit de juger. Notre système de justice ne sert plus à rien, chaque personne avec un compte FB est devenue accusateur, juge, juré, et témoin.

Ne manquez pas le prochain épisode : partie 5, (je sais pas encore quoi mais je vais certainement trouver, c'est une source inépuisable) !

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